
Quand Olivier Rousteing rhabille la Maison Gaultier
Après la retraite de Jean Paul Gaultier, suite à un dernier défilé d’anthologie en Janvier 2020, ce dernier a décidé qu’à chaque saison il confierai les clés de sa maison à un designer différent ce qui permettrai donc de créer une collection pour La Maison Gaultier.
Cette saison, ce fut le talentueux Olivier Rousteing qui fut invité à créer une collection Haute Couture.
Auparavant, il y eut déjà deux créateurs qui furent invités à, eux-aussi, créer une collection chacun en Haute Couture, Chitose Abe et Glen Martens, tous deux en 2022.
L’objectif d’Olivier Rousteing pour cette collection est de créer une collection qui va expliquer sa vision de la marque légendaire qu’est Jean Paul Gaultier.
Au sein même de la Maison Gaultier, Olivier Rousteing va découvrir les secrets des ateliers, leur ampleur, mais aussi les petites et grandes mains qui confectionnent tous ces modèles.
Pour Olivier Rousteing, Jean Paul Gaultier est l’inspiration, l’institution, l’icône de la mode.
Quant à lui, c’est un prodige, qui en 10 ans a projeté la marque Balmain d’une belle maison française à un géant global.
Olivier Rousteing est un créateur connu pour ses broderies rutilantes (2017), mais également pour ses passementeries inattendues en raphia (2017).
C’est un symbole de sa génération, une génération qu’il va marquer car c’est la première fois qu’Olivier Rousteing prendra les rênes créatives d’une autre marque que Balmain.
Bien évidemment, pour cet évènement, le grand public et le monde de la mode attendent tous deux ce défilé avec impatience.
Pour la création de la collection Olivier Rousteing a à disposition :
- Les archives de la Maison Gaultier
- L’équipe du studio
- Les précieux ateliers Haute Couture
- Les différentes robes qui ont été conservées
La collection qu’Olivier Rousteing va créer est une collection Haute Couture, ce qui veut dire que tous les modèles seront entièrement confectionnés à la main, il n’y aura pas de machines, ce qui est une règle de l’art dans la Haute Couture, cependant cela rendra le travail plus long et fastidieux. Pas une dizaine mais une centaine d’heures, et cela pour chaque modèle car ce sont des créations sur-mesure pour des personnes qui achètent les modèles par la suite: des pièces uniques.
Grâce aux différentes robes qui ont été conservées et auxquelles Olivier Rousteing a accès, il va être attiré particulièrement à un trésor de la collection Haute Couture des années 2000 sur le thème des Indes Galantes.
Pour Olivier Rousteing, la marinière et les plumes de cette robe la rendent "iconique". C’était en effet une des premières robes avec laquelle on a joué avec la maille. Elle a un effet à la fois casual et complètement couture, c’est l’ADN Gaultier grâce au mix couture / coolness.
Même suite à la proposition d’Olivier Rousteing, Jean Paul Gaultier ne viendra pas assister aux séances de création, d’essayage et de confection, il fait totalement confiance à Olivier Rousteing et veut découvrir le défilé en même temps que tout le monde le jour j, pour que ça soit une surprise.
Trois mois avant le défilé, Olivier Rousteing a dessiné une quarantaine de croquis très techniques où la limite entre la virtuosité et le casse-tête était assez fine.
Du côté des ateliers, les modélistes créent les prototypes, ils réalisent les premières toiles, expérimentent des recherches de tissages, testent plusieurs matières et plusieurs teintes.
Quant à Olivier Rousteing, il décidera des pistes à suivre et celles à abandonner. Dans ses croquis il présente une tenue à l’effigie de la bouteille de parfum "Le Mâle" de Jean Paul Gaultier et il veut absolument la retranscrire en grandeur nature avec tout ce qu’elle signifie pour lui. Le parfum "Le Mâle" c’est le parfum de son père, celui qu’il a connu depuis son plus jeune âge et qu’il a ensuite lui-même porté, c’est donc une partie de lui qu’il voulait travailler dans ce défilé.
Le coeur est un symbole qu’il veut aussi intégrer dans ses créations car pour lui c’est un symbole qui est très présent chez Jean Paul Gaultier, "La Maison Gaultier c’est le Royaume du Coeur", il va donc créer la cage coeur.
Toutes les tenues de sa collection rendent hommage à l’esthétique de la Maison Gaultier :
- Les seins coniques, c’est l’icône absolue de la maison
- Le corset et ses laçages
- Les marinières
- Les cages déstructurées évidées qui tiennent avec des baleines
- La vision de Paris qui est exprimée sur les robes avec ses différentes Tour Eiffel. Jean Paul Gaultier aime représenter son amour pour Paris dans ses tenues notamment avec la robe Tour Eiffel
- Le trompe l’oeil
- Les bouteilles de parfums et leur emballage en boîte de conserve
Olivier Rousteing est un créateur portant une grande admiration pour Jean-Paul Gaultier car il y a quelques années c’est lui qui fut le premier à vouloir casser les codes de la « Mode », il fut le premier à avoir des femmes rondes sur ses podiums, le premier à vouloir des origines ethniques différentes mais également le premier à faire porter des talons à des hommes ou amener des personnes transgenres à défiler.
Olivier Rousteing a donc pour objectif de représenter le « Nouveau Monde », le nouveau futur que Jean-Paul Gaultier a commencé à créer.
Dans ses créations en plus de s’inspirer de l’Héritage Gaultier, il va également raconter son vécu, comme il le fait avec les bandages qu’il va tout d’abord représenter vis-à-vis de Jean-Paul Gaultier et tous les rubans qu’il utilise sur les shopping-bas ou les cartons d’invitations mais également plus personnellement car Olivier Rousteing fut victime d’un incendie l’ayant gravement brûlé, depuis, dans ses collections, des bandages sont apparus, ce qui lui a permis d’extérioriser ce qu’il avait vécu.
Il va donc lier ces deux représentations et les faire figurer dans la collection de La Maison Gaultier, même si Jean-Paul Gaultier lui-même avait déjà utilisé des bandages dans ses défilés.
Pour Olivier Rousteing, lier ses émotions à son travail est très important car cela rend la création plus intense, plus vivante.
Durant la conception de la collection, Olivier Rousteing va découvrir des nouvelles matières et apprendre des techniques de savoir-faire spécifiques à la Maison Gaultier, comme le jersey de mousseline que l’on appelle aussi le « Jersey Gaultier », c’est une matière souple, fine et légère qui est associée à la technique du jersey drapé Grès, une technique également utilisée dans la Maison Gaultier qui doit être l’une des seules de nos jours à encore l’utiliser.
Le plissé Grès c’est des milliers de bandes de tissus cousues les unes avec les autres pour avoir un effet plissé, ce qui donnera aux vêtements un effet à la fois sculpté et voluptueux.
Sur une de ses créations, Olivier Rousteing a mis la barre très haute en recréant la bouteille de parfum « Le Mâle » de Jean-Paul Gaultier en grandeur nature, avec la jupe canette en métal et le buste en verre créé par l’Atelier Loire, des maîtres verriers basés à Chartres.
Cela leur a permis d’exploiter leur savoir-faire à travers une pièce de Haute-Couture. Il leur a fallu une dizaine d’essais avant d’arriver au bon résultat, ils ont pris cette création comme un défi qu’ils ont relevé, ce qui a permis l’intégration du verre comme nouvelle matière dans la couture.
D’autres créations ont aussi été extrêmement complexes à réaliser, comme la robe Tour Eiffel et ses laçages interminables, la cage cœur avec sa rigidité et son poids.
Plus le défilé approchait et plus Olivier Rousteing angoissait car au J-1 aucune robe n’était encore prête et finie, à minuit seulement quatre robes sur une quarantaine de modèles étaient entrées en coulisses.
C’est à ce moment-là qu'Olivier Rousteing prit conscience de ce qu'était réellement la Haute-Couture, les croquis qu’il avait dessiné et qui lui avait pris entre 10 secondes et 2 minutes sont devenus des créations nécessitant de 400 à 600 heures de travail.
Pour le défilé, il a choisi de faire sortir ses mannequins sur le balcon pour que la foule qui était dehors, puisse elle aussi découvrir la collection en plus des écrans géants qui étaient installés sur la devanture. Olivier Rousteing dit qu’il avait pris cette décision car Jean-Paul Gaultier est une marque d’inclusivité qui depuis les années 80, avait choisi de « parler à la rue », de « s’inspirer de la rue », ce qui a permis d’ouvrir les portes des défilés Haute-Couture à la rue, que la foule et la rue fassent partie de la couture signée Jean-Paul Gaultier.
Durant le défilé on peut donc voir les différents points de vue et idées qu’Olivier Rousteing a voulu représenter dans ses créations en liant son univers à celui de Jean-Paul Gaultier, comme les corsets et le rose poudré qui représentent Jean-Paul Gaultier associés avec les chaussures géantes et la casquette qui elles représentent Olivier Rousteing.
Il a donc créé un parallèle entre les deux créateurs et leur deux univers.
La femme Jean-Paul Gaultier qui rencontre la femme Olivier Rousteing.
Il mettra aussi en valeur l’Homme Gaultier pour ses différents imprimés sur du tulle stretch et les mélanges et découpages avec superposition de matières.
Il va également créer des tenues revendiquant des sujets de société, comme le bustier « paquet » portant le message "qui que nous soyons, nous ne devons pas nous cacher, nous ne devons pas avoir honte de nos corps et nos attributs qui le compose", ce qui a engendré des émotions du côté des invités comme Bilal Hassani ou encore Raya Martigny.
Dans le défilé, deux créations portées par deux femmes enceintes qui figurent libres et fortes et surtout qui ont le choix, font échos aux polémiques actuelles sur les droits des femmes et le droit à l’avortement.
Pour la dernière tenue du défilé, il a choisi quelqu’un de spécial, Kristen McMenamy, ancienne mannequin de Jean-Paul Gaultier. Elle avait défilé pour son défilé prêt-à-porter et surtout pour ses premiers défilés Haute-Couture à la fin des années 90.
Olivier a décidé de la représenter en mariée pour clôturer le show, durant son passage elle offrira une rose à Jean-Paul Gaultier, lui rendra hommage mais en repartant elle va trébucher sur ses talons et tomber, la chanteuse Sevdaliza viendra la sauver.
Pour Olivier Rousteing, sa chute dans le show est "iconique" comme la personne qu’est Kristen McMenamy, car son idée était d’avoir une mariée déjantée, il nous dit même :
Elle est déjantée.
Pour le final Oliver Rousteing vient saluer en marinière (Jean-Paul Gaultier), en jupe avec des chaussures à plateformes géantes (Olivier Rousteing), soit les pièces signatures de ces derniers.
Ce n’est qu’une fois que le public le félicite qu’il réalise que c’est la fin de l’aventure Gaultier, il est bien sûr heureux car il a relevé le défi et que tout le monde est euphorique du show qui vient de se dérouler mais il est également triste d’une certaine manière car tout s’arrête. Pour lui, c’est ça qui est le plus incroyable dans la couture et encore plus quand on est invité dans une maison, car c’est une expérience intensive, riche en émotions mais ponctuelle.
De son côté, Jean-Paul Gaultier a trouvé le défilé très beau et spectaculaire.
La Maison Gaultier c’est une très bonne école, on apprend tout, on travaille presque toutes les matières comme le métal, le cuir ou le laiton.
Jean-Paul Gaultier, au delà d’une expérience de Mode, c’est une expérience Humaine.